Fiction n°21 by Collectif

Fiction n°21 by Collectif

Auteur:Collectif
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2015-08-09T00:00:00+00:00


II

On vous donnait trois mois.

Du moins était-ce la période de grâce d’après les lois actuelles. Elle avait été plus longue, plus courte ; elle varierait encore. Il existait des arguments aussi valables pour adopter l’une ou l’autre solution. Il était normal de disposer d’un temps suffisant pour opérer ses adieux, mettre ses affaires en ordre, tirer un trait sur sa vie de la Terre. Du point de vue opposé, il était tout aussi normal, une fois venu l’irrémédiable, de couper d’un seul geste tous les ponts.

Pour le moment, on avait droit à trois mois au maximum, mais on pouvait les écourter si on en manifestait le désir.

Lew ne voyait pas de raison pour lui d’attendre ces trois mois. Si Hy, même non résolue à venir avec lui, avait voulu partager son dernier temps terrestre, c’eût été différent…

Il lui téléphona le lendemain matin pour lui demander si elle consentirait à l’épouser… pour trois mois.

Elle avait débranché le circuit de vision en voyant qui l’appelait. De l’écran vide, s’évada sa voix qu’elle rendait froide.

— « Non, Lew. Ce serait pire aussi bien pour toi que pour moi. Si je t’épousais, je te suivrais. »

— « Mais si tes sentiments n’ont pas changé, » plaida-t-il, « je te rendrai ta liberté les trois mois écoulés. Je ne pourrai pas t’obliger à venir. »

— « Je ne veux pas en discuter, Lew. Puisque je ne viens pas avec toi, il est inutile que je t’épouse. Ne me propose plus rien, s’il te plaît. »

Elle raccrocha.

Dans ce cas, à quoi bon ces trois mois ? Le jour même, il était aux Services de la Sélection pour demander son affectation sans délai.

Le grand vestibule évoquait une banque ou un bureau de poste. Les démarches à remplir étaient simples et s’accomplissaient dans l’ordre. Y suffisaient des employés derrière des guichets vitrés. Pas d’entrevues en dernier recours avec des personnes haut placées. Rien d’autre que des demandes de réduction de délai, des arrangements pour une destination particulière, des requêtes prévoyant le départ de parents, de conjoints, d’amis. Requêtes qui étaient à peu près toujours satisfaites.

Il était étrange de voir tous ces gens à l’apparence normale, au comportement calme, en sachant que trois mois plus tard aucun d’entre eux ne serait plus sur Terre – et n’y reviendrait plus jamais.

Debout près d’un pilier, se tenait une femme que Lew dévisagea avec un amer petit choc au cœur. Elle ressemblait à Hy – la lune au soleil et la violette à la rose, mais elle lui ressemblait… Elle tapait du pied à petits coups, l’air irrésolu. Elle était la seule personne à la ronde qui ne se cachât pas de se sentir misérable. Et elle était toute seule.

À l’autre bout du vestibule, la foule se pressait devant le vaste tableau des sélections. Les sélectionnés, au moment de leur désignation, étaient isolés dans leur sort, sauf si par extraordinaire un ami venait à partager simultanément celui-ci. Le tableau des sélections portait la liste de tous les citoyens en partance, et chaque solitaire pouvait en général y découvrir une relation quelconque, même des plus éloignées.



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